Première partie
"Quel poison ce collègue!" Nous connaissons tous dans notre entourage, tant professionnel que personnel, des individus difficiles à vivre. Si certaines personnes ne sont tout simplement pas faites pour s'entendre, il arrive que des difficultés relationnelles soient imputables à une véritable pathologie psychologique.
Nous avons tous une personnalité, qui peut se définir par "l'ensemble des caractéristiques permanentes chez un individu (1)". Selon Quentin Debray, cette personnalité peut revêtir un caractère pathologique lorsque "cet ensemble psychologique fonctionne de telle sorte qu'il entraine une souffrance, d'une part chez celui qui les porte, et d'autre part auprès de son entourage". Nous parlons donc de "personnalité pathologique".
Leur nom et leur nombre varient selon les manuels de référence en matière psychiatrique (2), nous en recensons huit. Toutes manifestent un trouble du lien social, et nous proposons de les classifier selon la nature de ce trouble (3):
- Lien distant: personnalités schizoïdes et évitantes;
- Lien inquiétant: personnalités paranoïaques et obsessionnelles;
- Lien indispensable: personnalités dépendantes et histrioniques;
- Lien instrumental: personnalités antisociales et perverses-narcissiques.
Comme le souligne Quentin Debray, il est primordial de réaliser que ces personnes difficiles sont les premières à souffrir de cette dysfonctionnalité relationnelle, ce qui n'est pas évident à concevoir car nous sommes tentés de nous focaliser sur le mal que ces personnes nous font, ce qui nous amène à les récriminer: "il pourrait faire un effort". A ce titre, il faut comprendre que puisqu'il est question de pathologie, la personne n'est pas réellement en capacité de faire évoluer son comportement car elle est enfermée dans un schéma mental qui la rend prisonnière.
Des personnes "normales" peuvent partager certains attributs de la personnalité pathologique, soit car elles possèdent certains traits en commun, soit pour une raison totalement contextuelle. Il est très important d'opérer cette distinction pour ne pas apposer trop vite une étiquette aux individus. Le risque d'une telle catégorisation hâtive est qu'elle serve de prétexte pour ne pas accorder le bénéfice du doute et chercher à résoudre le conflit, ce qui revient à le fuir. Avant de poser un diagnostic, nous ne pouvons que vous recommander d'aller jusqu'au bout d'une démarche de résolution de problèmes afin de comprendre ce qui peut expliquer le comportement déviant, et ainsi donner à l'autre une chance d'évoluer et de s'adapter plutôt que de condamner la relation. Deux critères permettent de déterminer une personnalité pathologique:
- La personne n'apprend jamais de ses erreurs. Parce qu'elle est enfermée dans un schéma mental, elle ne sait pas faire autrement et répètera inlassablement les mêmes manquements.
- Cet "handicap relationnel" ne se manifeste donc pas dans un seul cas de figure, il se reproduit auprès d'autres interlocuteurs de la personnalité pathologique. Si ce collègue n'agit de la sorte qu'avec moi, c'est dans ce cas la relation qui est viciée et non l'individu.
Que faire alors lorsqu'il ressort que vous faites véritablement face à une telle personnalité pathologique? De toute évidence, il est inutile d'essayer de la changer, puisqu'elle-même n'a pas cette capacité. Nous pensons donc que la meilleure démarche à adopter s'opère en deux temps. Il s'agit d'abord de chercher à comprendre en profondeur cette altération comportementale, pour ensuite déployer une gestion relationnelle appropriée vous permettant de minimiser votre souffrance et celle de la personne en cause. Certaines de ces pathologies sont d'ailleurs tout à fait compatibles avec le monde du travail. C'est notamment le cas des deux personnalités que nous vous proposons de traiter dans ce premier article consacré aux personnalités difficiles: le trouble obsessionnel et le trouble histrionique.
La personnalité obsessionnelle
Caractéristiques: Perfectionniste à l'extrême, l'obsessionnel est un "control freak". Le désordre et l'imprévu, trop peu pour lui, car il a tellement à cœur de viser l'excellence dans son travail qu'il lui faut prêter attention au moindre détail. Paradoxalement, les personnes atteintes de ce trouble tendent donc à se révéler rigides et à procrastiner. Le temps est en effet particulièrement mal géré, et certains projets risquent de jamais aboutir tant l'obsessionnel est exigeant envers lui-même. Il l'est d'ailleurs tout autant avec les autres et son obstination l'empêche d'accepter facilement des idées extérieures, ce qui le rend apathique dans le collectif de travail. A moins de se soumettre entièrement à sa manière de faire les choses, la collaboration avec un obsessionnel est rendue particulièrement épineuse.
Epidémiologie: L'American Psychiatric Association estime une prévalence de la personnalité obsessionnelle de l'ordre de 1% dans la population générale (4).
Compatibilité professionnelle: Ce type de personnalité convient tout à fait dans des professions qui requièrent une certaine rigueur de travail et valorisent en conséquence le caractère méticuleux et opiniâtre de l'obsessionnel. Les métiers de comptable, de contrôleur de gestion, de juriste ou encore de traducteur sont donc particulièrement adaptés à cette pathologie. La tendance obsessionnelle est plus généralement porteuse dans les situations où la performance est récompensée, ou encore dans des environnements où priment le respect des règles et de l'autorité.
Comment réagir: Une personne obsessionnelle ne supporte pas de ne pas avoir le contrôle sur son travail. La pire souffrance que vous puissiez lui infliger serait donc de l'en déposséder, que ce soit en l'obligeant à déléguer certaines tâches ou en ne lui accordant pas le temps nécessaire pour qu'il tire satisfaction de sa production. L'urgence, l'imprévu et l'improvisation constituent par conséquent chez l'obsessionnel des gâchettes émotionnelles particulièrement explosives. Pour gérer efficacement un tel individu, il convient de lui manifester du respect et de la compréhension pour son sens de la rigueur, tout en orientant son aspiration à la perfection vers un but qui vous soit utile. En cas de conflit, un argumentaire étayé par des critères objectifs (toute justification permettant une légitimité indépendante des parties, comme la loi) se révèlera particulièrement efficace.
La personnalité histrionique
Caractéristiques: A la terminologie plus communément admise d' "hystérique", nous préférons celle d'histrionique, étymologiquement moins sexiste. L'histrionique est un charmant séducteur à la soif inassouvie de reconnaissance sociale. Il éprouve donc continuellement le besoin de se donner en spectacle afin de se placer au centre de toutes les attentions. Son manque de confiance en lui le pousse même parfois à provoquer du conflit dans l'unique but de se rassurer sur son existence. Dépendant affectivement jusqu'à en devenir envahissant, tous les moyens sont bons pour impressionner. Du coup, la personnalité histrionique fait preuve de superficialité: elle accorde généralement une grande importance à son apparence physique et peut se montrer passionnée sur une opinion sans être en mesure de fournir des arguments précis et tangibles pour la justifier. Elle exaspère par sa dramatisation à l'extrême, son caractère influençable et par l'impression qu'elle donne à toujours jouer un rôle.
Epidémiologie: L'American Psychiatric Association estime une prévalence de la personnalité obsessionnelle de l'ordre de 2 à 3% dans la population générale (5).
Compatibilité professionnelle: De nombreux métiers exigent une certaine appétence pour le spectacle et la séduction. Les milieux du cinéma et de la scène sont par conséquent des univers de prédilection pour l'histrionique qui aime tant plaire et se donner à voir. Son enthousiasme, son ouverture et sa sociabilité sont également des traits très appréciés à des postes de commercial, d'enseignant ou de communicant.
Comment réagir: Il n'existe pas de pire cauchemar pour l'histrionique que celui d'être ignoré. En se montrant indifférent à son point de vue, ou en "oubliant" de solliciter son avis, vous ne l'inspirerez qu'à redoubler d'efforts pour se faire remarquer car il est prisonnier de la conviction qu'il ne peut fédérer que par son charme. Pour supporter un histrionique, il convient donc de lui offrir la reconnaissance qu'il réclame, à condition bien sûr que son comportement soit adapté. Tant que faire se peut, orientez-le vers des missions "inédites" susceptibles d'assouvir sa quête de nouveauté et confiez-lui un rôle dans lequel il puisse valoriser sa compétence à l'épreuve des faits. Il est tout à fait stérile de le dévaloriser devant son entourage ou encore de moquer ses travers car il n'a que peu de recul sur ses agissements. Enfin, pour négocier efficacement avec une telle personnalité pathologique, il vous faudra insister sur la recherche de ses réels enjeux et ainsi le contraindre à "tomber le masque".
A contrario des obsessionnels et des histrioniques, certaines personnalités pathologiques se révèlent littéralement toxiques pour l'individu en cause et pour son entourage. Cela s'observe notamment à travers les coûts économiques, sanitaires et sociaux que ces personnes génèrent inconsciemment autour d'elles. Arrêts maladie, démissions ou demandes de mutation, les travers éprouvés sont tellement en rupture avec les conventions sociales que toute collaboration avec un individu atteint d'une telle pathologie tourne inéluctablement à l'épreuve de force. Nous aborderons dans notre prochain article dédié aux personnalités toxiques les cas du trouble paranoïaque et celui du pervers narcissique que nous considérons être le plus dangereux de tous, car c'est le seul qui trouve une jouissance à faire souffrir les autres.
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(1) Voir notre vidéo "Les personnalités pathologiques" par Quentin Debray, sur notre chaine Youtube AlterNego
(2) A l'instar du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, "DSM", rédigé par l'American Psychiatric Association, dont il existe plusieurs éditions.
(3) Jean-Edouard Grésy, "Gérez les ingérables. L'art et la science de la négociation au service des relations durables", Paris, ESF Editeur, 2009.
(4) American Psychiatric Association, "DSN-IV-TR, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux", quatrième édition, p.837
(5) American Psychiatric Association, "DSN-IV-TR, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux", quatrième édition, p.820.
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